Giselda est lasse parfois, et ce soir hélas, c’est un soir comme ça. Un moment avec un arrière goût dégueulasse, qu’elle connaît bien et pourtant redécouvre à chaque fois.
Elle est usée jusqu’à la corde, et la corde s’éffiloche, même pas de quoi se pendre, c’est moche. Être le premier de cordée disait Monsieur je sais tout : « laissez-moi vous expliquer, même vous, vous allez comprendre ». Être le premier, c’est peut-être là qu’est né le grand merdier. Giselda, elle est plutôt dans la moyenne haute, et elle a dû tirer dur sur la corde pour tenir la position, celle du milieu, celle du sombre con : mi baiseur, mi baisé, enculée tout à fait, un monde parfait.
Son corps se débrise, ça la défrise pas plus que ça, elle a jamais eu le physique, pour miser sur lui, niveau fric. Elle a toujours su que pour gagner sa vie, elle devrait en suer et que ce serait pas au niveau de son cul, que le labeur se ferait moiteur. Plus jeune ça la faisait chier d’être moyen gaulée, elle a cru mourir pucelle mais non, à 40 ans passés aucun doute, la belle, elle est bien baisée. Le foutre y’en a plein ses draps à Giselda.
Ce soir elle est exténuée, lessivée, comme une mère de famille peut l’être, du moins c’est ce qu’elle imagine dans sa tête, en regardant ses collègues quitter le bureau, le soir. En rentrant du boulot, avant d’ouvrir la porte, elles se mordent la lèvre supérieure, çà fait sentir vivant, de se mordre au sang. Elles murmurent « merde encore trop tôt, j’aurais dû écouter de la musique, au lieu de monter tout de suite”. Les cris des marmots, ça rend hystérique. Faut pas croire les gens : même quand c’est les vôtres les jérémiades des enfants, c’est crispant.
Bon le seul hic c’est que Giselda est morte de fatigue, mais des morveux, elle en a pas. Elle vit seule avec un chat, pas vraiment par choix. Elle serait bien retournée chez sa mère, quand elle a vu que la vie de couple ça allait pas le faire, mais voilà de mère Giselda elle en a plus. Mais faites pas cette tête, les gosses elle savait les faire, bien sûr qu’elle sait que c’est pas par le derrière.
«Là franchement, je suis plus. Vraiment, je comprends pas, elle avait toutes ses chances, pour fonder une famille, gros cul ou pas,? ». « Ferme-la connard, te fous pas de Giselda, c’est une amie à moi ».
Le problème de Giselda c’est que les 2/3 des gars sur sa route, pauvres zigues, la conduisaient à la déroute, zag. Très forts pour lui faire du rentre dedans, très vite, pris de panique, ils la lui faisaient à l’envers. Sans doute, i’ savaient pas les couillons que les enfants, ça se faisait à l’endroit.
Giselda, elle vit seule depuis plusieurs années, alors ce soir elle comprend pas pourquoi elle est tellement crevée, alors qu’elle a que son cul à torcher.
Au boulot, elle a tendance à vouloir se faire mousser, ben faut la comprendre, la soif d’exister y a pas que James Dean, qui l’avait. La journée elle doit tout donner, car après c’est plié. Elle sait qu’une fois rentrée, une fois qu’elle aura tourné la clé, y’aura plus personne, ni pour l’écouter, ni pour faire semblant.
Giselda, elle est lucide, elle sait bien qu’elle parle toute seule, en faisant chauffer la pizza ou après le souper, en buvant son pisse-mémé ou même en regardant la télé. Maintenant, elle s’oblige à parler à voix haute et à tourner doucement la clé dans la serrure, elle voudrait qu’ils pensent qu’elle a trouvé quelqu’un, enfin !
Dans le couloir, l’oreille collée à la porte, elle les avait bien entendus les murmures, ces cloportes : « pauv’femme, vieille fille à son âge, seule avec son chat, tu vois on est pas si mal tous les deux mon minou, miaou, miaou ».
Et puis merde, elle a le droit d’être rincée après une sale journée, passée à se défoncer, sans la moindre marque de reconnaissance. «Mais qu’est-ce qu’elle croit, elle s’attend à quoi, à ce que chaque jour on lui déroule le tapis rouge, à une haie d’honneurs de olas pour fêter le jour de sa naissance ? Et ça va pas, faut l’aider, mettre le holà.
« Au fait, Lundi soir, comme d’hab t’as rien, hein ? Car c’est bouclage, ce week-end j’ai barbeucccc avec des potes, mon épouse et les gosses ont besoin de passer du temps avec moi, tu sais ce que c’est, allez je dois filer bye »
Ben nan enculé, Giselda elle sait pas et jamais plus elle sera, car elle, personne, ne l’attend, tu vois ? Ce week-end, elle avait le temps, mais le soir sur l’ordin après minuit ses yeux brûlent, parfois ça pique tellement, qu’elle voudrait se les arracher, elle a qui a tellement peur de tomber aveugle et de ne plus voir le vent dans les arbres. Elle en peut plus, elle est au bord du burn-out mais pas de quoi s’immoler ? Hein ? Elle a pas de responsabilité ni de permis, ni d’étude à payer, alors vraiment pas de quoi se flinguer, elle doit rien à personne et personne le lui rend bien, quel chien.
Giselda dans la bagnole, elle a chialé sur le chemin du retour, elle avait pas envie de rentrer, pas envie de parler seule à voix basse, mais elle a pas non plus d’amies pour aller se saouler la gueule au bus paladium. Oui c’est le problème aussi, la solitude ça sécrète l’amertume par tous les pores de la peau, et la tristesse ça pue, ça soule les gens, bien avant la fin du premier mojito, c’est ballot.
Giselda se ressaisit, saute dans son legging, elle a encore une petite heure devant elle avant le coucher du soleil. Vous la verriez dans sa tenue de sport, un petit rôti sans la ficelle, si elle avait eu une sœur, elle au moins elle l’aurait trouvée belle. Vous vous pourriez pas vous empêcher de sourire et de vous dire mesquinement : « elle est mimi avec son vêtement et sa marche rapide d’un pas nonchalant. Dommage ! Si seulement elle avait daigné bouger son cul avant ». Et oui encore lui.
Giselda dévale pour arriver au plus vite le long du canal, la beauté du paysage l’appelle comme une urgence. La nature à couper le souffle, lui coupe un peu le sifflet, encore un peu et le vent va essuyer ses larmes. Mais, elle ne le laisse pas faire, elle lutte : si elle n’a plus la tristesse, qu’est-ce qui lui reste ? Qui lui tiendra compagnie ? A l’amorce du premier pont, elle distingue, à peine, un corps allongé de tout son long, de tout son court on imagine beaucoup moins bien. Le crépuscule vient de tomber, la nuit minuscule, avant la géante turpitude, l’empêche d’abord de bien distinguer. L’homme dort sur le bas-côté, à l’ombre d’un genévrier. 3 gros sacs Leclerc, plein à craquer, l’entourent et forment comme un rempart de protection, autour de lui. Il a la peau burinée de ceux qui marchent, sans nul autre but que de continuer à avancer, malgré rien. Giselda est attirée par l’inconnu familier, gisant là. Elle le scrute maintenant, elle prend tout son temps, il dort profondément. Elle sent intuitivement où est sa place : ses côtés. Si elle osait, elle s’étendrait, doucement, près du dormeur du canal.
Puis quand le bonhomme se réveillerait, elle lui demanderait si elle peut l’accompagner dans sa marche vers nulle part, « d’ailleurs », elle, elle en vient et là-bas, elle ne se reconnaît pas parmi les siens. Affligée de son manque de courage, elle reprend sa route, en proie au doute, elle l’a laissé une nouvelle fois guider ses pas… et puis y’a pas que ça, là-bas, elle a tout de même son chat.
Arrivée à la porte, elle sent la magie de l’instant se briser, ou finalement nan, un léger fumé lui malmène les narines. Son chat a encore chié sur le canapé, l’euphorie de la retrouver. Décidément, elle a un talent indéfinissable pour repérer l’être vivant le plus chiant et finir par s’y attacher vraiment. En ramassant, les excréments, tout à coup elle doute (et merde…oui encore), putain et si le bonhomme dormait pas, s’il était mort. Il avait l’air si paisible, comme arrivé enfin, au pays : sa patrie, celle où tous les pas perdus se retrouvent, quelle victoire, pas perdu l’espoir !
S’il faut mourir pour être en paix, Giselda elle serait bien tentée d’essayer, mais elle peut pas : qui va donner à manger à son chat.
Dès l’aube, Giselda, qui n’avait pu trouver le sommeil, a sauté dans son legging, son justaucorps (trop juste au corps) et enfourché son vélo. Le dormeur du canal n’y était plus, il n’était donc pas mort mais bien paisible.
Être vivant et paisible, c’était donc possible, quel salut !
Chère Samuelle, je n’ai pas de mots , tous leurs pouvoirs sont sous ta plume…je bénis ce moment du soir,précédant l’autre avec comme seule envie:m’échoir…me voilà à nouveau bien en vie, émerveillée, troublée, chahutée, taquinée par ma lecture. Je te vois dans mon miroir, c’est toi mon espoir. Fais de beaux rêves Samuelle…
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