Ne plus pouvoir serrer les dents…

Quand durant toute sa jeunesse, les autres n’ont eu de cesse de railler sa maladive timidité. L’adolescent a serré les dents. Puis il a pardonné…

Quand à la veille de se marier, son épousée l’a fait veiller, en proie aux doutes « et si, et si… c’était mieux avant ! ». Le fiancé a serré les dents. Puis il a pardonné…

Quand quelques 2 ans plus tard, le jeune couple a plongé dans le noir, perdant leur premier enfant dans un accident domestique, lui il a cherché consolation dans le mystique. Il a trouvé la religion. Le jeune père déchu a serré les dents… Puis il a pardonné…

A la naissance de son second enfant. Dans les yeux de sa fille, il a de nouveau vu la lumière, pour un temps. Le jeune papa a desserré les dents légèrement. Puis il a pardonné…

Quand son troisième enfant est né, il était content tout en renonçant pour de bon à l’idée d’avoir un garçon. Le père triplement a desserré les dents encore d’un cran. Puis il a pardonné…

A 30 ans, il respirait presque maintenant…

Quand sa femme à force de mots tus, de silences assassins, dans la dépression a sombré, la valse à 2 temps a commencé : maison / HP – HP / maison. Le mari dévoué a serré les dents. Puis il a pardonné…

Quand son beau-fils, qu’il adorait, est devenu laid et s’est fait la malle sans se retourner sur sa benjamine, sa p’tiote, son éternelle gamine. Le beau-père a serré les dents. Puis il a pardonné…

Quand sa femme après une opération est partie rejoindre le petit. L’époux a serré les dents. Puis il a pardonné…

Quand le lendemain de ses 70 ans, le diagnostic est tombé « c’est un cancer ! ». L’homme mature a serré les dents. Puis il a pardonné…

Quand sa compagne opportune après 15 ans de vie commune l’a laissé tomber pour un moins âgé à la famille moins compliqué. Le grand-père par mésalliance a serré les dents. Puis il a pardonné…

Quand une dame de 70 ans, vieille n’est pas gentille, lui a tourné autour, puis la tête et qu’au bout de 10 jours l’a jeté ‘pas encore prête à s’engager’. L’homme mûr a serré les dents. Puis il a pardonné…

Quand durant le confinement, il a passé 2 mois seul dans sa désormais grande maison, au milieu des souvenirs et à distance de ses filles. L’homme solitaire a serré les dents. Puis il a pardonné…

Quand au jour 1 du dé-confinement, le 11 mai 2020, à l’issue de la coloscopie, les mots ont été à nouveau dit « c’est un cancer ». Le père âgé, assis sur le fauteuil passager, sa benjamine à côté, a serré les dents. Et si le temps lui est donné, il va pardonner, je le sais…

Quand pendant plus de 2 mois après le diagnostic posé, ils l’ont abandonné, sans lui expliquer la suite du protocole. Qu’il avait beau appeler et rappeler encore, les docteurs, les professeurs à la colle et que d’aucun n’a daigné répondre à ses 2 questions « allez-vous me soigner ? Et quand ? ». Le vieil homme fatigué a serré les dents…Il leur pardonnerait…Mon père il est comme çà.

Quand dans la nuit du 24 au 25 juillet, ils ont volé sa remorque et qu’au petit matin, Papi l’a cherchée en vain. L’homme usé jusqu’à la corde a desserré les dents. Il a crié, un cri de fauve blessé, il a résonné loin dans le village. Des décennies de compromis avec la vie se muaient en un cri. Pardonner il ne le pouvait plus…

Il a fait crisser les pneus de sa Nissan Note, sur les graviers.

Sur les pages jaunes des faits divers devant le troquet du village, est inscrit en gros titre ” à l’entrée de l’été, un homme de 75 ans s’est tué en se jetant dans le canal, une pancarte autour de son cou disait : “je ne vous pardonnerai jamais d’avoir volé ma remorque ! ” “

One thought on “Ne plus pouvoir serrer les dents…

  1. J’ai dévoré les mots et laissé échapper les sanglots. Puis dans la foulée est arrivé le temps de la réflexion, de la méditation et enfin celui de la libération…grâce à toi je suis soulagée, apaisée: ce salaud de voleur de remorque ne l’emportera pas au paradis, je le sais maintenant! Justice sera faite! Cette vérité me met en paix. Je t’aime ma douce.

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