La bête en moi…

…elle vit. Je le sais. Je la sens, l’ogresse s’est réveillée. L’affreuse sanguinaire ne vient jamais seule, quand il s’agit de m’en mettre plein la gueule. Elle est accompagnée de la vieille rombière, gronde en moi la colère ! Ça fait mal et ça fait chier, j’avais bien cru la saigner, contempler le sang couler dans l’évier.
Profondément en moi je sens sa présence, ça pue l’absence, l’ogresse m’a pénétrée toute entière. J’ai beau me débattre, il n’ait rien à faire. Cela fait deux semaines, peut-être plus, que je la sens cracher en moi, vipère venimeuse. La vicieuse bouffe mes viscères, mes yeux, mon cœur…La bête mord et mord encore, mais à tant en avoir peur, je la désirerais presque maintenant. La chose est revenue, elle ne disparaîtra qu’après avoir tout brûlé, je le sens, je le sais. Combien de fois me serai-je débattue entre ses griffes, combien de fois aurai-je tenté d’esquiver ses gifles ? Combien de fois faudra-t-il encore tout détruire pour que la douleur cesse, pour que le calme puisse revenir ?

Pas la moindre parcelle de peau ne peut se sauver quand l’hallali a sonné. Il n’y aura pas de rescapé dans les décombres. Impossible de fuir, alors se résigner, un genou à terre, tremblant de rage, attendre fataliste que sur leurs cous le couperet glisse, au sol, à leurs pieds mon sang, pas le leur.

Comme un cancer, la monstresse avance à pas de loups au début. Le mal insidieux et perfide empoisonne mon sang, puis mange mon cerveau d’agnostique. Le jugement dernier présente au moins le soulagement de l’ultime critique.

La bête réveillée, la terre va brûler, le sang se répandre, il n’y a rien à faire, seulement attendre l’instant fatidique. Alors, je dois semer le chaos derrière moi. Ce n’est pas un choix, cela s’impose à moi, comme respirer. Il faut bien que cela cesse, tout détruire, ou mieux pousser les autres à le faire à ma place, après tout à chacun son enfer.

Le mal me ronge de l’intérieur, le soir, il me siffle aux oreilles des horreurs, je monte le son, la musique fait diversion dans les écouteurs. La play-list terminée, le bruit demeure, impossible d’y échapper plus que quelques heures. L’acouphène est dans ta tête, inutile de fuir, le murmure est dans ton crâne de profane. Tôt ou tard le masque tombe en éclats et emmène avec lui la voix des êtres aimés. Tout finit par finir alors autant choisir l’heure du glas. Je voudrai partir avant le carnage, je ne veux pas tuer l’amour, non pas celui-là, je voudrai en finir avec cette merde, ce cycle infernal.

Mais la fille du chaos ne sait survivre que dans les abysses de la noirceur, taper le fond. Elle y arrive pas avec l’ordinaire, le niveau tout juste au-dessus de la mer finit toujours par la rendre amère. Et d’un autre côté, le talent extra, ben elle l’a pas. En plus, elle sait que l’ordinaire c’est exactement à cet endroit que loge le sublime, le beau, le fragile. Mais non rien à faire, elle est conditionnée au nauséabond, à l’odeur du souffre. Alors elle vomit sa bile, son mal congénital. C’est facile, elle maîtrise, les doigts dans la bouche ? Inutile ! Le quotidien des gens heureux, franchement maintenant elle signerait en fermant les yeux, si, si seulement le malheur lui en avait laissé le temps. Dommage, une prochaine fois !

A peine ensemencée, la grande faucheuse laboure la terre. Le rythme s’accélère, sa terre aujourd’hui nourrit plus de morts que de vivants. Voici la rengaine de la double peine qui en profite pour faire son entrée. Bienvenue à toi chère tristesse ! Que vas-tu nous chanter ? « La vieillesse sans descendants » comme c’est charmant. Pleurer sur son nombril des larmes acides et le voir se creuser. La bête l’oblige à partager, à déverser le poison sur ses proches, aux malheurs plein les poches. Brûlés à l’acide, ils finiront bien par partir. Mais putain, partez, foutez-le camp, c’est la guerre ici, tirez-vous ou je vous tue !

Se lester du poids des emmerdes, plonger, couler jusqu’à l’asphyxie sans plus se débattre. Jusqu’au coup de pied salvateur dans la vase, remonter à la surface des algues dans la bouche, l’instinct de survie, le goût des fleurs. Puis recommencer avec d’autres, brûler les photos, les tatouages, avec le temps l’enfant deviendra sage.

Putain, non je ne veux pas de cette fin-là. J’en ai ma claque des cris, des larmes, tout ce cloaque pour le même foutu résultat, où rien ne change, sauf la gueule du cadavre dans mes bras. Promis, juré c’est décidé je vais changer. Je veux vieillir avec lui, sinon rien ou crever comme un chien. Je dois changer. Je vais cultiver mon jardin, semer de jolies pensées abreuvées de silence. Le silence, seul allié quand le combat fait rage. Se taire, en attendant de voir l’adversaire renoncer et poser ses armes à terre. Serrer les dents en attendant, éviter l’affrontement, avoir le courage de fermer sa gueule au moins un temps, celui de reprendre son souffle.

Pour trouver la force de la patience, du silence, j’invite maman à danser, elle m’entend, elle vient à moi. Sur les nuages du paradis blanc, je la tourner sur elle-même. Elle sourit, elle aime bien danser maman. Elle porte sa jupe léopard et ses chaussures vernis rouge lui blessent les pieds. Cendrillon n’a plus 20 ans. Sur sa tête, un chapeau pointu est vissé, celui qu’elle portait pour la bonne année. Face à face, nous abreuvons l’une de l’autre, les yeux plongés dans le tréfonds de nos âmes, c’est un joli pays. Nos mains unies forment deux poings levés, et ce sont deux points d’exclamation, ravies nous dansons, sourions ça fait du bien…

3, 2, 1 : inspirez, soufflez…Félicitations, c’est une fille ! Pour toujours et à jamais, TA fille maman ! Dodo, l’enfant do, la bête dormira bientôt.

 

L’éphémère…Pas de fête, pas de mère !

Premier dimanche de juin, c’est la fête des mères 2020. 20, cela fait aussi 20 ans que mon cerveau se donne un mal de chien à oublier l’affaire. L’organe qui souvent me cause du chagrin, à me refuser l’oubli, sur ce coup là l’esprit malin je le remercie. Ma mère, elle me pardonne, je ne la fête plus sans même plus devoir me forcer à ne pas y penser. Le jour de la fête des mères est une date rayée du calendrier désormais, ce n’est ni triste, ni gai, c’est un fait. J’ai essayé le même procédé, avec Noël et le 1 er janvier, mais pour le moment j’ai échoué, je ne désespère pas pourtant d’y arriver.
Alors pourquoi, ce malaise aujourd’hui, pourquoi cette sensiblerie ? Comme souvent en fin de journée, sur FB j’ai scrollé. Pourquoi, je fais ça ? Par paresse, par oisiveté, par ennui aussi, peu importe en vérité, le mal est fait et bien fait !
Quelques photos de mamans ravies titrant ‘les plus beaux moments de la vie’ et je me sens comme une pestiférée, à la fête des gens heureux jamais je ne serai invitée . En plus, dans mon cas je me sens doublement évitée, ni fille, ni mère, aucune chance de recevoir le carton d’invitation. L’année dernière pour en finir avec l’attente, j’ai voulu entériner le caractère définitif de l’éviction, alors j’ai donné un coup de canif au dictionnaire : et hop envolé le mot « mère » du vocabulaire.

De toute façon, globalement les fêtes c’est pas mon truc. Les fêtes c’est pour les gens victorieux, les insiders, les bienheureux. Les sans enfants, les sans parents n’ont qu’à aller se faire mettre. La mère se fête, pas l’amère défaite.

Le plus pénible dans les jours de tristesse où tous les autres sont à la liesse, c’est qu’il faut se cacher pour pleurer. Oui se cacher, comme la bête à l’agonie, car honte à celui qui ne parvient à se réjouir du bonheur des autres, y compris de ses amis, honte à celui qui maudit ce bonheur affiché. C’est la double peine, l’amertume tue plus sûrement que le manque lui-même.

Le jour de la fête, quand des mères attendent fébriles leurs colliers de nouilles et leurs plats en terre, moi je frissonne à l’idée du jour, où le mot papa de mon vocabulaire aussi s’effacera. Bref, on n’y peut rien, c’est la vie, ni meilleure, ni moins bien qu’une autre, la mienne, divine déveine…

Et puis merde on n’a pas tous les jours 20 ans, alors sur terre comme au ciel je te la souhaite quand même ta fête maman…Et si tu les entends pas, de là-haut, de là-bas, les mots je les crie quand même. Que les vents, les murmurent doucement à l’oreille des orphelins, orphelins de père, orphelins de mère, orphelins de fils, orphelins de fille, orphelins de sœur, orphelins de frère…Bonne fête à vous, bonne fête à nous, bonne fête aux exclus des festivités. Bonne fête à tous les différents, (pas les in-, les autres) qui ont le courage de l’être sans en souffrir.
PS : bonne fête à toutes les mamans, les bonnes, les mauvaises, avec ou sans confiture, sans rancune aucune évidemment ! La vie c’est rien de moins qu’une aventure, pourvu qu’elle dure !