La récidive sans rémission

Bang, bang !

– Alors Docteur dites-nous tout…

Bang, bang !

– Il s’agit donc d’une récidive.

– Euh finalement dites-nous seulement la moitié, tout, d’un coup, ça file la nausée.

Bang, bang !

– Désolé mais c’est une récidive tout à fait !

– M’sieur y’a à l’évidence une erreur, sans doute par inadvertance vous vous êtes trompé de patient, je vous assure c’est pas le bon client pour une récidive ! Il y a mal donne sur la personne, par définition une récidive implique d’abord une rémission, non ? Or demandez donc à ma sœur, nul répit au compteur !
C’est sûr c’est pas le bon fichier. Regardez-mieux s’il vous plaît, nous c’est le dossier du guerrier, celui qui en a bavé, celui qui a toujours surmonté…
Vous bilez pas docteur, ça arrive à tout le monde de se méprendre, la faute n’est pas fatale, on va pas faire un scandale. Restons-en là pour le moment, allez hop on y va, allez bon vent. Au fait, c’est par où la sortie, l’issue de secours ?

Le Doc nous fait signe de nous rassoir, son sourire se fige, ses sourcils se rejoignent, hérissés ils se lamentent : « encore une bande de pseudos durs à cuire, infoutus d’avaler la vérité crue ».

Bang, bang !

– Il n’y a pas d’erreur malheureusement, je vous le redis calmement Mademoiselle, c’est une récidive du cancer. Est-ce plus clair désormais ? Maintenant pouvons-nous passer aux effets secondaires, s’il vous plaît ?

Bang, bang !

– Oui je reconnais volontiers c’est impressionnant, mais rien n’oblige le patient au carton plein naturellement.

Bang, bang !

– Bon nous reste plus qu’à vous remercier Docteur ! Ah bon nous nous revoyons d’ici peu de temps ! Alors à bientôt Docteur.

Nous ressortons groggys. D’autres patients patientent dans la salle d’attente. Au suivant ! Récidivistes ou primo délinquants, ils vont prendre combien eux ? 20, 10, 5 ans, non tout de même pas 5 ans, c’est dément, un truc à plus avoir confiance en la justice de son pays !
Et pour nous combien, Monsieur le Procureur ? Combien c’est pour la peine maximale ? La perpétuité ? Allez siou plaît, c’est quand même pas trop demandé une vie, pour sauver l’amour, notre peau de chagrin !

Bang, bang !

La sentence tombe à demi : il manque des éléments au dossier, nous serons jugés en seconde instance, dans 3-4 mois. D’ici là ? Nous sommes en liberté conditionnelle.
Malgré le ciel tombé sur nos têtes,  nous trouvons plus que la force, l’envie de rire. Le guerrier, l’armure fendue se redresse, sa voix fend l’air : « et si on se tirait au bord de la mer, j’ai une envie furieuse de bouffer du crabe !!! ».

Des décennies à se marrer ensemble, à rire de tout et surtout de la vie, bête à pleurer.
Des décennies d’humour à force d’amour c’est jamais assez, alors nous allons faire comme toujours : lutter et lutter encore, pour s’en payer une nouvelle tranche de bonheur. Bien sûr, il va y avoir des pleurs et des doutes mais surtout il va y avoir nos pas parallèles dévorant la route.
Alors bon dieu oui tu vas la becqueter cette satanée pilule, chaque jour avec toi on va l’avaler, on va se la faire à l’endroit et surtout pas à l’envers.
On va la baiser la mort et sucer l’amertume, et moi je vais vous dire à ce tarif, je fais la passe gratis !

Puisque la vie est un élixir qui nous condamne tous à mort, buvons notre sursis jusqu’à la lie !

Bang, bang ! You don’t shoot us down !

Nuit debout

La nuit debout commence à peine et déjà les vieux loups aboient et leurs cris jettent l’anathème.
Pelotonnés dans leur canapé, bien au chaud devant la cheminée avant la série télévisée, ils s’émeuvent entre la poire et le café de l’absence de portée de l’action menée.
« C’est çà faire la révolution, ne pas dormir de la nuit et discuter du beau temps et surtout de la pluie ! Et puis à République, on va pas me la faire à moi vieux brisquard, les jeunes gars sur le pavé, ce sont des nantis, les futurs DG, logés au plein cœur de Paris. Des bobos je vous dis qui savent rien de la vraie vie et pensent que c’est seulement dans les PVD, que les gens doivent choisir entre becqueter et la facture d’électricité. Au lieu de philosopher ils feraient mieux d’aller taffer ! Leur mouvement fait pitié, incapable de structurer leurs idées ! Et c’est quoi d’abord leurs solutions ? ».
Moi ces réflexions « bon ton », ça me fout les glandes, entendre les planqués donner des leçons au milieu de leur salon, ça m’écœurerait presque au point de ne pas finir mon macaron Ladurée ! Ce sont les mêmes qui le mois dernier reprochaient à la jeunesse sa passivité, son manque de conviction, sa léthargie : « bon dieu mais ils vont y aller au charbon oui ou non ! ».
Si vu de dedans, rester dehors debout toute la nuit à palabrer c’est stérile, que dire de l’utilité d’une nuit passée à ronfler au fond de son lit douillet, en plumes d’oie mouillée ?
Etre debout quand d’autres sont couchés, manifester physiquement une pensée libre : le désir de vivre ensemble, autrement, souhaiter la fin de l’hégémonie de l’argent sur la valeur humaine, ne plus lutter pour sauver un système fossoyeur d’hommes mais pour fonder un nouveau système. Un modèle de société qui aurait pour priorité d’assurer une existence décente pour chaque individu, fort d’une pleine conscience de la préciosité de la vie humaine, où chacun est une partie du tout.
Demeurer debout, refuser de se coucher c’est pour moi un acte de résistance, et si je me trompe tant pis ! La naïveté sera ma peine perpétuelle et c’est tant mieux car le cynisme lui me tuerait.
Quand on ne mène aucune action, apprécier la pertinence de celle des agissants me semble vraiment déplacé… Est-ce à dire qu’à ne rien faire, on gagne l’obligation de se taire ?
Ok au temps pour moi, je vais fermer ma gueule de révoltée virtuelle certes, mais de révoltée toujours debout… devant mon ordinateur !

Une caresse…

Une main, sur la joue, sur l’épaule, une main tendue, une main qui frôle,
Une caresse comme une intense présence en plein cœur du silence,
Un baiser, sur le front rieur ou morose, sur la paupière, douceur éclose,
Une caresse comme un remerciement d’être vivant ici et maintenant,
Une étreinte, des bras autour du cou, tes bras dessus, les miens dessous,
Une caresse comme un souffle offert, un doux répit, un instant d’oubli…