Ne laisser derrière que des cendres

Puisque les semences plantées en plein ventre pourrissent sitôt écloses,
puisque les rêves finissent ensevelies au cimetière des pensées écorchées,
puisque les passions se muent en mensonges auto-infligés au contact de la réalité,
puisque s’affirmer tel que l’on est et probablement détonner, plus personne n’ose,
alors décider de brûler la terre stérile, trancher, couper dans le vif d’une société où l’infécond, non stérile cependant, rime avec inutile, pauvres cons pédants,

Attendre le bon moment : l’ultime, celui de la déchéance des sentiments,
le cruel instant où l’on se retrouve impuissant à faire semblant, d’ignorer son absence de talent.

Mais auparavant prendre le temps de tout détruire méticuleusement,
déchirer les cœurs en lambeaux, scarifier les cerveaux aux couteaux,
briser les êtres vivants en morceaux, surtout les aimants, ces sombres idiots.

Assener les coups comme une pluie de rage, par les mots l’autre assassiner,
l’annihiler en ne l’autorisant pas à la riposte, foudroyé par la rengaine haineuse des phrases vénéneuses,
piétiner l’autre, son intégrité, bafouer ses droits, l’assommer de devoirs et d’obligations,
accabler l’être aimé, le rendre coupable de sa déraison,

L’être aimé, ce tout indicible, détruire en tous points sa chose, dénier son être en croyant le posséder, ni chose, ni bête.

N’être rien sans ce tout, objet, moyen et cause :
– D’abord objet, celui du désir, du feu de la passion, feu-follet des cimetières,
– Puis moyen, moyen de réalisation des rêves, jusqu’alors non-atteints, car jusqu’alors seule. Pour le médiocre, l’autre devient moyen de transformer l’impossible, possible, vecteur de notre réussite en fuite,
– Enfin cause, cause de la frustration, face à l’évidence : combler son vide intérieur n’est pas une tâche, que l’on peut confier à la sous-traitance.

De la sous-traitance, à la maltraitance, tes errements montrent bien ton incompétence à faire face. Nul ne viendra te sauver poupée, enfonce-toi bien çà dans ton crâne de garce.
Le monstre est à l’intérieur et c’est toi qui l’a créé, pauv’ demeurée. La solution est en toi : l’autodestruction est ta seule chance de répit, crois-moi !

Tout brûler, tout massacrer, rien ne doit demeurer, ne rien regretter, derrière-soi que des cendres,
plus personne à aimer, plus de bonne raison de n’pas se descendre,
se faire exploser le caisson et ne plus jamais avoir à attendre d’être, brûlée la cervelle et les désirs avec.

Alors accomplir son destin enfin, forte de ne plus avoir rien, ni personne à perdre, se tuer proprement, sans larmoiement,

Brûler la terre stérile, plonger dans les eaux sombres, des cendres encore, descendre toujours,

Ne plus aspirer à remonter, résilier la résilience, prière de ne pas renouveler le bail à déchéance,

Ouvrir la bouche bien grand, aspirer l’eau, asphyxier son corps et son cœur, suffoquer mais ne plus avoir peur, le pire s’arrête ici. Accueillir sereinement le salut du dernier combat,

Ne jamais plus se soumettre, envoyer valser les sbires de la destinée, l’esclave asservie se meurt et se libère d’une existence subie. Elle a fait le choix d’arrêter, d’exister pleinement pour une fois, et de jouir jusqu’à l’extase de sa toute puissance. Elle jouit de sa grande mort, en disposant de sa vie, la chienne a tant disposé d’elle, avant.

Pourquoi s’obliger à manger, quand on a plus faim, rassasiée, repue jusqu’à la nausée ?

Pourquoi ne pas inviter les affamés de l’existence, prendre place au banquet jusqu’à s’en péter la panse. Pourquoi les refouler aux frontières de l’opulence ? On connaît la musique, deux noires valent une blanche…

L’éthique qu’est-ce que c’est ? Et si cela commençait par vouloir aider les bons vivants à rester et les mauvais à se retirer, sans tambours, ni trompettes, sur la pointe des pieds peut-être, l’idée étant de ne surtout pas gâcher la fête !

 

Penser ses morts, panser sa vie

Penser ses morts, ça tue le temps,

J’aime penser à mes morts de temps en temps,

Je m’efforce de ne pas le faire trop souvent,

A trop penser à eux, j’en oublie les vivants,

Faudra-t-il les tuer tous pour en oublier aucun ?

Tous ces morts déjà à 43 ans, bientôt mes compagnons seront plus nombreux sous que sur terre,

Peut-être est-ce déjà le cas, mais je compte pas, je préfère pas, quand on aime, on compte pas,

De plus en plus régulièrement j’appelle leurs esprits, on en manque cruellement par ici,

Panser ses morts, bon dieu que ça passe le temps,

J’aime me souvenir de mes morts, nos pleurs, nos rires, nos conversations,

J’ai l’image, mais me manque le son, les voix se sont tuent,

Je continue bien sûr, je sais la voie sans issue bien sûr

mais je suis condamnée à l’emprunter, se retourner sur le passé révolu me tuerait,

Raviver la mémoire de mes défunts me rassure, pas de clap de fin, ils vivent encore dans mes pensées, ils vivent encore en moi à jamais changée depuis eux,

Tout meurt, tout finit mais rien n’est plus jamais comme avant et ça putain c’est rassurant, au point presque de calmer ma rage de dents, mon tumulte dedans permanent,

Les rappeler dans mon présent, leur parler c’est ma façon à moi de les honorer, mon cœur crevé autant que leurs corps, se bat pour leur survivre, et si l’eau de la vie se fait un peu moins vive sans eux, c’est tant mieux, elle n’en est que plus exquise,

Cynique comme tout bon vivant, j’aime à gueuler la phrase « des êtres irremplaçables y’en a plein les cimetières, ravale tes larmes le jour de la mise en bière »,
mais bon dieu peu importe qu’ils soient un ou qu’ils soient 100, l’être aimé enterré et notre monde se trouve à jamais dépeuplé. Arrachez-moi la langue, faites-moi taire, condamnez-moi à avaler la terre où ils sont ensevelis, mes morts, mes vers de poésie,

J’ai besoin de penser à eux, de les faire revenir à ma vie, à vrai dire je m’en veux de continuer sans eux, toujours faire comme si de rien n’était mais rien n’est plus à jamais. D’absence en résilience, « faut bien vivre, on n’a pas le choix », sur-jouer l’existence ou plutôt sous-jouer quand j’y pense, à tout supporter, nos cœurs glacés finiront bien par se briser, les tessons viendront saigner nos rêves d’enfant moribonds.

Penser aux morts mais pas trop, de toute façons ces peines-là se réparent pas, les morts c’est mortel, alors penser aux vivants, éloigner les revenants, qui ne reviendront pas, ne pas sombrer dans la folie, s’agripper à la vie.

Chaque jour rejaillir à la vie par choix, de manière délibérée, par amour de celui qui compte sur nous, lui qui demeure et persiste malgré tout, fort de nous savoir vivant, attendant nos retrouvailles, dimanche prochain certainement.
Aux morts, aux vivants, aux vivants morts, aux morts vivants, aux dimanche de retrouvaille, à la vie vaille que vaille,