3 jours à tuer, jour 3

  • Jour 3 : samedi –tuer l’enfant

Tuer l’enfant, assassiner les rêves, éteindre l’inaccessible étoile et donner naissance à la femme. La laisser vivre, l’autoriser à exister, même trop, même mal, lui permettre de se perdre sur les chemins de traverse en route vers son destin. La mère avortée, mains sur le cœur berce doucement son enfant intérieur asphyxié par son amour. Son râle lui déchire les entrailles, elle regarde tétanisée le sang couler sur ses cuisses. Soudain les pas de son père dans l’escalier la font sursauter, l’être à sauver c’est lui. Le mot stérile exhibe l’inutile, il ne guérit pas, il mutile. La douleur est un couteau à double lame, il faut la museler, épargner nos chers, au moins la taire à son père.

La terre à son père avait le goût de l’enfance trop prononcé désormais, alors ils ont semé de l’herbe dessus, l’enfance mange les pissenlits par la racine depuis. Papa déteste la nostalgie, il dit « la nostalgie est un poison mortel, qu’il faut boire seulement une fois par an et au cimetière uniquement. « joyeux Noël Maman ! ».
L’enfant enseveli dans le jardin, avec les autres animaux de compagnie, les souvenirs enfouis elle peut respirer, prendre l’air. A ciel ouvert les déchets du passé empoisonnent l’atmosphère. La femme avance, enfin, elle titube, oublier l’enfant qu’on n’a pas su porter, c’est se condamner à une existence sans innocence, à perpétuité.

Mais Papa a raison : parterre les fleurs repoussent, la vie toujours rejaillit en douce. Grandir, sortir de terre et oublier l’enfant parti à son tour en fumée. Quitter le nid les yeux rougis par la fumée et embrasser son horizon avec fougue et appréhension. La femme renaît des cendres de l’enfant, bras et cœur béants elle est prête à accueillir son père vulnérable, son héros ordinaire, car palpable.
Son petit soldat désarmé par l’ampleur du combat, vaillamment lutte à mains nus  au fond de la tranchée. Lui au moins il sait vivre, elle n’a pas cette politesse, l’effrontée manque de savoir-vivre. Un jour, sa mère a proposé ses services pour lui apprendre, et puis finalement ça s’est pas fait. « Toi sale gamine, je vais t’apprendre à vivre ! » avait-elle hurlé, mais c’était sous le coup de la colère, au fond sa mère ne le pensait guère, car de la vie elle-même ne savait que faire. Comment avait-réagi le père ? Il n’avait rien dit, absorbé à refaire ses lacets, pour la dixième fois de la journée.

Son père héros ordinaire, fantastique car réel, au garde-à-vous, il se tient prêt pour le combat dernier. La résilience c’est lui, c’est avoir le sens du compromis, c’est savoir respirer malgré la terreur et les mots noués dans la trachée. Le valeureux griffé par le crabe pisse le sang, le sang doit couler tout le temps. Le héros se tait. Il ne dit mot ni de la douleur, ni de la peur. Le silence c’est sa façon à lui de les protéger elles, de les tenir à distance de l’ennemi. Le silence est un acte inouï de résistance de l’homme de paix. Pendant ce temps Mme « j’aime dire les choses » fait ce qu’elle sait faire, elle fait du bruit. Du fond de son lit, elle gueule, hurle, crie : « putain de maladie, fille de pute tu l’emporteras pas au paradis j’te l’dis !!! ». Au petit matin, elle tremble de froid, les draps sont glacés d’effroi. La jeune femme se pisse dessus toutes les nuits et les jours aussi. Mme sincérité a le courage de ses opinions mais pas celui de la situation.

Pugnace et digne, le héros embrasse la vie, pas comme on embrasse une pute, mais comme une déesse. Jamais de guerre lasse il ne songe à cesser d’enlacer la catin, il aime la faire danser. Son dernier souffle sera je le sais pour la bouche de la traînée. L’enfant assassiné, la femme envisage de se taire car aujourd’hui elle sait le courage dans les silences. Elle voudrait comme son père trouver celui de vivre sa vie, quel qu’en soit les habits. Roxanne you don’t have to put your red dress tonight !

Aujourd’hui elle ne meurt pas encore, sa vie passe, elle attend. Lui Il meurt sans attendre, et est toujours meilleur vivant pourtant. « L’existence est une chance », dit-il. Alors la jeune femme n’a pas manqué de chance : sa vie n’a pas manqué d’existence, même si parfois elle lui a manqué en revanche. Elle ne craint pas « l’autre » monde, l’inconnu, l’un ne lui est pas si familier non plus. Cependant elle aimerait un supplément de temps, pour soigner la tendresse et caresser la beauté de leurs vulnérabilités.

« Allez Papa prends mon bras, allons- nous promener dans les bois tant que le loup ’y est pas ! ».

 

3 jours à tuer, jour 2

  • Jour 2 : vendredi – tuer le héros

Epargner le père. Se sauver soi. Mais la vie c’est le sang, la vaine existence s’en nourrit. Alors puisque le sang doit couler…saigner le héros fantastique, comme une purge inique et pourtant libératrice. Le trucider bien et vite, avant le jaillissement de la vérité, dos au mur impossible de reculer, impossible d’ignorer les faits. Faire la peau au héros, crever le rêve avec ses ongles, mais surtout ne pas l’égratigner. Préférer le soleil aux étoiles, s’aveugler à la lumière et caresser ses ailes brûlées à l’enfer de la réalité. L’extraordinaire est une chimère, mère chimique et père d’une réalité de substitution, gare à l’addiction. A confondre ciel et terre, la vague à lame aiguisée de la mer nous submerge et nous attire par le fond.

Oublier le mythe, le héros de fiction, le remercier du travail bien fait par le passé, grâce à lui les nuits de l’enfance sans sommeil finissaient. Tuer le héros fantasmagorique, pour accueillir le héros ordinaire, aimer le père au présent et bien vivant. Cracher sa peine sur la tombe du père onirique, pleurer la mort du sauveur sur la terre, comme au ciel, se consoler en goûtant l’amour imparfait, inconditionnel. Le rêve est une malédiction, quand il s’ignore et se pense réalité, une machine maléfique, la fabrique à désenchanter. Le ressenti ment souvent, joue des tours, prendre de la hauteur, vomir la rancœur, s’éloigner de soi, ou plus exactement déloger l’enfant dans son cœur battant et connaître la paix d’aimer vraiment entièrement.

L’enfant né sur le terreau de l’absence passée sous silence avait crié à la naissance, on s’en était réjoui. Mais… le cri n’avait jamais cessé depuis ! Le fruit du silence était un cri, quelle ironie !
Se taire ou hurler ? Acte désespéré dans les deux cas, la douleur laisse sans voie parfois. Un père passe sous silence, faites vos jeux, rien ne va plus pour l’enfance, née dans une impasse.

Pour survivre à la mort du héros, il faut en finir avec l’enfance devenue fardeau, en finir avec la désillusion arracheuse d’ailes, voleuse d’horizon. Ne plus fuir le réel, course folle sans ligne d’arrivée, et trouver enfin le courage de mettre fin à l’errance, ce voyage sans destination. Alors il n’est pas d’autre solution que d’achever l’enfance blessée, lui asséner l’imparfait et enfin tendre la main à l’adulte, désormais prêt à exister malgré les trous, les difformités.

3 jours à tuer, jour 1…

Jour 1 : jeudi – tuer le père.

Tuer le père avant qu’il ne la tue. Mais le père n’est-il pas déjà mort, la dépouille de ses enfants dans les bras ? Ses enfants n’ont pas vécu longtemps. Depuis il vit avec leurs fantômes, un mort, deux vivants…

Tuer le père comme une urgence, maintenant, tout de suite, d’un coup sec bang, très vite arracher le fils et cicatriser. Le tuer en premier, avant qu’il ne meurt, avant la fatalité ou la destinée, dans la balance tout juste une poignée d’années. S’en séparer de son plein grès, décider de la fin, décider au moins du jour de l’abandon, comme s’il s’agissait d’un choix, d’une dernière volonté.
Se débarrasser de l’Amour, s’en délester, car à l’usure ça pèse lourd.
Le poids de trop d’amour ?…Trop Lourd ?

Tuer le père et par la même occasion zigouiller la peur de toucher le fond. Faire disparaître la raison de vivre et ainsi démembré peut-être se réinventer qui sait ? Sous la lumière des feux follets, envisager une nouvelle possibilité : la folie d’exister par ou pour soi-même, dilemme.

Le père avec d’autres toute sa vie s’est tu. Le silence c’est vous et vous sauve peut-être, elle il la tue, après tout on ne peut pas convier tout le monde à la fête. Se taire est selon elle une lâcheté, pour lui c’est une eau de vie, dans l’oubli il se jette. L’eau trouble et le soulage, inutile de savoir qu’on n’a plus pieds, quand on est nul à la nage.

Consensus ou phallus ? Jeune fille vous vous méprenez, la vie c’est bien plus compliqué !
L’homme cultivait son jardin en silence, parterre il ensevelissait ses blessures, puis semer ses pensées. La vie repoussait bien, la chienlit ça se nourrit du rien.

Tuer le père avant que la grande faucheuse à la lame sanguinaire nous coupe l’herbe sous le pied. Décider de l’heure, impuissante choisir au moins quand devenir l’enfant sans racines, l’adulte sans branches, n’être ni au ciel, ni à la terre, à peine au milieu. Se laisser voguer ivre sur l’amer des feintes, ni jamais mère, ni plus enfant, orpheline doublement.
Être bourreau c’t’ enfant de salop, jamais victime, ne tendre ni la joue, ni le cou et frapper un bon coup. Être le couperet et décapiter le rêve fou à dormir debout, d’un bonheur possible malgré tout. Ne plus fuir, demeurée elle est, demeurer, elle reste. S’offrir à la nuit nue et entière, espérer la traînée, puis la laisser tomber sans trembler, sans suffoquer la réalité. Ne pas pleurer, se tenir prête pour le grand voyage, non plus condamnation, mais remise de peine sans condition.

Tuer le père ? Nul ne peut trucider la tendresse, la déesse est immortelle ! Autant vouloir sortir le fleuve de son lit. Un truc de fou à dormir debout !

Ce soir le roi est mort, vive papa !