Enfin, elle sort triomphale de la cabine d’essayage, après s’être débattue avec ce satané jean taille trop basse, dans lequel elle a dû se contorsionner pour ne pas laisser son gentil bidon se faire la malle, au-dessus du bouton pression.
Rouge et suante aussi, elle claironne un « tin tin tin », en ouvrant le rideau, dans le genre attention les yeux me voici. Sandrine, elle est comme ça, il faut toujours qu’elle en fasse des tonnes. Avec gourmandise, elle saupoudre la vie de bêtises, les moments ordinaires de sucre glace, faut que ça brille, sinon la vie, elle s’efface, plus vite que le reflet d’un visage dans une glace.
Et en matière de vêtements, Sandrine se régale : grâce à ses formes généreuses, la surprise est toujours de taille.
A peine, entrevoit-on son gros orteil, et déjà une voix d’enthousiasme résonne : « oh la la, guapa, guapa, qu’est-ce que tu es mimie ma chérie, tu es à croquer ».
Sandrine ne fait jamais de shopping avec qui que ce soit d’autre, car ses yeux là la subliment, on les appelle les yeux de l’amour. Sa complice de toujours n’a pas son pareil pour s’émerveiller, à chaque lever de rideau. C’est comme un remake de pretty woman, bon qui tire plus sur le fatty que sur le jolie, mais réellement, c’est la même intention, sans l’enjeu de la baise en fin de journée, de quoi être sacrément soulagée.
Grimaçant, les cheveux en bataille Sandrine se démène pour remonter son falzar, elle tire violemment sur les rebords du pantalon.
« Nen sérieux ça le fait pas, regarde ce gros fion, les coutures vont lâcher, je peux même pas toucher mes pieds pour refaire mes lacets ! »
« Mais n’importe quoi, mais pas du tout d’accord. Tu as de jolies fesses, rebondies comme deux jolis abricots. Dis-moi qui pourrait résister à mordre dedans, à pleines dents », rétorqua la femme, la tête penchée sur le côté, comme elle fait à chaque fois qu’elle s’attendrit.
« Par contre, mon ventre ! » soupire Sandrine tout en remontant une nouvelle fois le jean en tirant violemment sur les passants « regarde, c’est totalement dément, il refuse catégoriquement de rester en arrière-plan, il déborde au-dessus de la fermeture. On dirait vraiment une brioche en cours de cuisson, dans un moule trop petit, ça dégueule de partout, c’est dégoûtant et puis ça cuit pas du tout ! »
« Mais arrête tes bêtises, c’est insensé, ton ventre est très joli, pourquoi le cacher, il a le droit de vouloir danser. Vous êtes ravissants tous les deux, je connais plus d’une actrice de Bollywood qui tuerait pour être si bien profilée, naturellement en plus ! ».
Sandrine avant de retourner dans la cabine, s’attache à initier une danse du ventilateur endiablée, laquelle consiste à laisser libre cours aux chairs mouvantes de son corps, autant dire que ça fait du monde. Elle sait l’effet que cela produira, alors le regard plein de malice, elle attend.
Dans un éclat de rire, sa camarade s’écrie « Tu es sexy au diable, hermanita, qu’est-ce que tu es drôle ! »
Après avoir cogné plusieurs fois coudes, poignées, genoux, Sandrine se rappelle pourquoi elle déteste le shopping, l’éléphant dans la boutique de porcelaines parvient enfin à se débarrasser du pantalon, véritable objet de torture. Elle sourit encore de son effet, le jean gît en boule à ses pieds.
Depuis la perte de ses dents de lait, la plus tout à fait jeune femme est en quête de l’Amour Absolu : « le vrai ». A 40 ans, si elle perd à nouveau ses dents (« de viande » ?), en revanche, elle ne cherche plus l’Amour Absolu. Elle sait désormais disposer du Trésor : l’Amour à dire vrai a toujours été à ses côtés, depuis sa naissance, il loge à plusieurs endroits et notamment dans le cœur de sa sœur, lequel lui est, en plus, en bonne partie réservé.
Sa sœur est le ciel de sa vie, en un sourire, elle allège son cœur souvent trop lourd et son esprit trop gris.
Inutile de partir pour découvrir l’Amour, le vrai celui qui perdure bien après la mort, celui qui vous réchauffe le jour et la nuit aussi. Oui, la nuit aussi, à ce moment précis, où débarrassés des artifices, ces politesses, nous sommes à poil, nus dans notre vérité
– La morve au nez d’avoir trop pleuré
– les vergetures comme des scarifications sur un corps pourtant infécond,
– l’haleine pestilentielle, boire et vomir le chagrin,
– les doigts dans la bouche au-dessus de la cuvette des wc, gerber à trop se remplir du vide de la consommation,
– les trous dans la bouche quand elle sourit à pleines dents, des années de soin n’y peuvent rien, un sans dent né et meurt sans dent, sale affaire de sang,
– le cheveu gras, le tee-shirt maculé de chocolat, il ait des matins où même se laver, elle y arrive pas,
– acnéique, euphorique, famélique, boulimique, hystérique,
– heureuse, amoureuse, douloureuse, peu importe il lui suffit de lever les yeux, sa sœur est là, aimante dans tous ses états, elle lui tend son cœur et ses bras, tout le temps.
« Viens, approche toi Hermanita, ma jolie, mon tout petit. Viens-ici au creux de mon cou, au creux de mes bras. Sois-comme tu es, laisse-toi aller, sans faux-semblant, ni simagrée.
Vis, pleure, ris, bénis, maudis, fais comme tu voudras, mais rassérène-toi, love-toi tout contre moi. Ma sœur magnifique, lunatique, fantastique, à la folie cosmique, repose-toi sur moi.
Tout ira bien tu verras, tranquillise-toi, tout s’arrangera et puis si c’est pas vrai, si c’est des mensonges, on prendra ce qu’il faudra pour pas s’réveiller, pour pas savoir la vérité vraie et garder intact le songe de deux sœurs… Deux battements, un cœur.
Je l’attendais ce vrai moment de lecture passionné…j’en ai pris plein les yeux et le coeur, passant des éclats de rire aux larmes émues par la force et l’intensité de ta plume. Tes mots sonnent en moi comme un cadeau, une ode à l’été plein de promesses, de légèreté, de sérénité et de vérités précieuses comme un trésor…celui-là que Sandrine et sa soeur détiennent dans leurs mains et leur coeur. Qu’elles croquent toutes les deux dans ce bel été, c’est à elles de jouer!
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Ma très chère lectrice, tes mots m’encouragent à ne pas laisser tomber la plume, moi qui en ai plein en réserve pour en avoir laissées quelques unes en chemin. A chaque fois, tu m’as aidée à les ramasser une à une, grâce à quoi les maux se sont faits mots et ont pris sens, douloureusement parfois et joyeusement si souvent. Ensemble c’est tout…Nous respirons, vous m’inspirez mes chéris
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