Bat trop vite, trop fort ? Bat encore !

  • Pardon docteur de vous importuner ! Je sais : vous avez bien d’autres cas à traiter, des cas bien plus importants, des gens, qui s’ils n’ont plus le pouvoir ont toujours le savoir, le savoir-vivre j’entends.
    Et bien voilà Docteur, je ressens une grosse douleur à la tête et surtout au cœur. J’ai mal, ‘sais qu’c’est pas bien : j’ai mal d’avoir peur et j’ai peur d’avoir mal. Mais le pire Docteur, c’est que le reste du temps soit je m’ennuie, soit j’ai mal aux dents et ça, je le vis mal vraiment.
  • Pardon Madame Marron-gris, je ne pense pas avoir bien saisi. En clair vous avez mal où et s’il vous plaît soyons précis, prenez sur vous cette fois-ci.
  • J’ai mal au cœur docteur, il bat trop vite, il bat trop fort. Ça le prend inopinément, il fait les 100 coups, puis soudain plus rien du tout. Je ne le comprends pas et je crois que lui non plus. Au fond, je crois qu’il ne m’aime pas vraiment. Mon cœur me fait peur, il m’impose ses élans, ses émois et moi dans tout ça. Lui et moi, on ne s’entend plus bien, de mon côté je l’entends trop, grave et incohérent. Je subis ses battements à longueur de temps, Docteur je vous jure je préfère finir à la rue, qu’être une femme battue. Maman me tuerait, si elle savait.
    Le problème date pas d’hier : j’ai grandi trop vite, j’ai grandi trop fort, mais jusqu’à présent mon cœur élastique avait suivi le mouvement, parfois à contre temps, mais globalement il résonnait bien.

Depuis quelques mois, visiblement en colère, il refuse de se taire. C’est pas compliqué, il y en a plus que pour lui désormais, à peine ai-je le pied posé parterre, qu’il cogne comme un forcené.
Vous voyez docteur, j’ai aimé trop vite, j’ai aimé trop fort. Alors c’est sûr il a morflé et je crois que maintenant, il a bien l’intention de me faire payer l’addition. Entre nous, il s’excite pour rien, j’ai pas de pognon.

Alors,  j’ai tout le temps peur, faut bien dire docteur que pour moi la vie faut qu’elle aille vite, faut qu’elle aille fort, ben oui sinon c’est l’ennui et çà c’est la mort, non ?
Donnez-moi quelque chose Docteur pour soulager aussi mes maux de tête : je vous ai pas tout dit, je voulais pas vous effrayer, mais j’ai mal à l’âme aussi. Les pensées me cognent aussi, elles s’en prennent à mes tempes. Elles gueulent à tue-tête, qu’elles veulent se barrer, que si je les libère pas, elles vont me faire la fête. Elles disent que depuis que j’écoute mon cœur, je suis sourde à leur douleur !

  • Mais Mademoiselle c’est tout de même par sorcier de laisser vos pensées s’envoler. Et puis vot’cœur n’est pour rien dans votre tumulte intérieur, Il bat la mesure de votre démesure et entre vos pics et vos creux, croyez-moi le pauvre vieux fait de son mieux !

Il mérite bien un peu de répit, dans votre permanente impermanence, peut-être fait-il du bruit pour étouffer vos cris. Il bat, vite et fort, car il sait que s’il ne peut vous échapper, du moins pas vivant, vous ne pouvez rien sans lui. Tous deux, vous êtes condamnés à coexister, tour à tour, prisonnier et geôlier, l’un de l’autre.

  • Docteur, ma tristesse m’étouffe, stérile, elle enserre mon corps et mon cœur, les compriment, ils vont finir par craquer, je le sais. La douleur déchire mes chairs, mes tissus, mes nerfs. Ma vie est une épisiotomie sans anesthésie, où accoucher du néant est ma double peine.
  • Mademoiselle, qu’attendez-vous de moi au juste ?
  • Un ou 2 médicaments, juste le temps de la tempête ? Le matin, je voudrais seulement me réveiller gentiment, vivre consciemment et heureusement, sans avoir peur ni que cela s’arrête, ni que cela continue. Le soir venu, j’aimerais dormir doucement sans avoir peur ni de ne pas dormir, ni de ne pas me réveiller ? Est-ce trop demandé vous croyez ?
  • Ma chère Madame, la peur est un instinct animal crucial, il nous prévient du danger et nous permet de l’éviter et puis vous savez la peur n’évite pas d’exister…

Trop vieille pour être mère, assez pour être orpheline, mère de personne bien tard, fille de personne bientôt, l’éternelle « pas sage » erre. Je connais le refrain de la vie et pourtant, il me manque toujours l’air. J’étouffe de ne savoir où est ma route, voilà ce qu’il en coûte à celui qui doute.

La peur, mal, con, génital…

On ne guérit pas de l’enfance, on l’oublie parfois je pense. Un jour, adulte pour le restant de sa vie, en rémission de l’enfance, on suit scrupuleusement le protocole, en soins palliatifs à vie, à mort.
Parfois les antalgiques en première intention suffiront à endormir le mal, parfois non. Alors l’enfance incurable se métastase et vient noircir les poumons, le cœur et l’âme.
Reste la thérapie expérimentale : l’amour, l’unique espoir de survie de l’adulte.

Tic, tac le compte à rebours est enclenché, tic-tac, circonscrire l’enfance, tic-tac surtout l’empêcher de se propager, preuve d’une belle maturité.

One thought on “Bat trop vite, trop fort ? Bat encore !

  1. Mon ange, je découvre ce soir ton dernier écrit mais pas ton dernier cri…car tu es en vie ma chérie! et tu nourris la mienne jour et nuit.Je souhaite de tout mon coeur, de toute mon âme, de toutes mes forces que ceux à venir aient la même saveur que le smoothie dégusté aujourd’hui: passionné, fruité, léger, véritable contre-sens au souffle de cette tempête qui te tourmente…c’est mon voeu le plus cher et j’y crois dur comme fer! Je t’aime!

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